{Roman} Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amour – S.G. Browne

commentjai« Pendant les deux mois qui ont suivi l’accident, je ne pouvais m’empêcher de penser à Rachel – le parfum de ses cheveux, le goût de ses lèvres, la chaleur de son corps endormi à mon côté le soir. Je me vautrais dans la douleur, dévoré par l’angoisse et l’auto-apitoiement. Il a fallu aussi que je m’accommode de l’odeur de mon cuir chevelu en pleine décomposition, de l’arrière goût de formol incrusté dans ma gorge, et de mon corps froid et pourrissant. Tout ça me donnait envie de prendre une douche à l’essence et de craquer une allumette.

Si vous ne vous êtes jamais réveillé après un accident de voiture pour découvrir que votre femme est morte et que vous êtes un cadavre animé en putréfaction, alors vous ne pouvez pas comprendre. »

Andy est un zombie. Il a eu un accident de voiture avec son épouse, ils sont mort tous les deux, laissant une petite orpheline, Annie, et puis un jour, Andy n’était plus mort. Et ce n’est pas simple d’être un zombie. Déjà, on se réveille dans le même état que celui dans lequel on est mort, voire dans un état pire encore pour peu qu’on n’ait pas été embaumé avant de ressusciter… Alors ce n’est pas beau à voir, c’est sûr. Y’a des chairs pendantes, des trous dans le crâne, des membres qui se font la malle, des sutures autour du cou… Difficile de passer inaperçu dans ses conditions.

Si les zombies sont plus ou moins tolérés dans la société, les règles sont néanmoins très strictes : déjà, le zombie doit être « adopté » par ses parents. Sans ça, zou ! à la SPA. Pareil si le zombie se promène dans des endroits publics en plein jour, ou ne respecte pas l’une des règles qui lui sont imposées. Oui, la SPA accueille toujours les chiens et les chats errants, mais aussi les zombies dont on ne sait que faire. Enfin, ça, c’est la première étape. Si personne ne vient le chercher, ils finissent dans un zoo pour zombies, une émission de télé-réalité ou cobayes pour futurs chirurgiens plastiques…

Andy, lui, a la malchance d’avoir eu les cordes vocales sectionnées dans son accident, une épaule en miettes et une jambe en vrac. Un zombie qui râle et qui se traine, comme dans tout film de série Z qui se respecte… L’ironie de sa situation ne lui a pas échappé. Coincé à la fois dans ce corps en piteux état et dans la cave de ses parents, rejeté par un père qui le menace régulièrement de se débarrasser de lui et une mère qui fait se son mieux mais a quelques difficultés à se faire à l’idée que son fils soit un mort-vivant, Andy trouve un peu de soutien dans le groupe spécial zombies créé par Helen. Là, il retrouve régulièrement Carl, Naomi, Tom, Jerry, et Rita. Ah, Rita… Si son cœur battait, c’est certain, il battrait pour Rita. Rita et ses lèvres rouges vif. Rita et ses poignets déchirés, qui a souhaité mourir, mais n’a réussi qu’à revivre. Et puis un jour, Andy en a assez. Ça suffit ! Pourquoi les zombies n’auraient-ils pas les mêmes droits que les respirants ?! Hein ? Oui : pourquoi ?

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Si vous passez par ici de temps en temps, vous savez peut-être que j’ai un faible pour les zombies (voir ici, ou encore ). Et si les romans ou les films de zombies « classiques » peuvent être efficaces – je vous conseille en passant la sympathique série Freakish – moi, ce que je préfère, ce sont les romans et films décalés, voire carrément barrés.

Mais « Comment j’ai cuisiné… », c’est avant tout pour moi la rencontre avec une toute jeune maison d’édition bordelaise, Mirobole. Un samedi matin, il y a deux ans de ça, je croisais dans ma médiathèque quelques livres de cette maison d’édition, qui présente la particularité de proposer des couvertures très atypiques. Mon choix s’était alors porté sur « Gretel and the dark » d’Eliza Granville, charmée par son titre, son résumé et… sa couverture, donc. Ce même samedi, l’après-midi, en balade au Salon du Livre de Bordeaux, je tombais sur le stand de l’éditeur. Deux fois dans la même journée, c’était un signe ! Le monsieur derrière le stand était fort sympathique, nous avons échangé quelques mots et, moi qui emprunte énormément de livres et en achète très peu, j’ai craqué sur ce roman de S.G. Browne, dont le titre est à lui seul toute une histoire 🙂

Si j’achète très peu de livres, c’est aussi parce que comme ceux que j’emprunte ont une « date limite », je les fais passer en priorité, si bien que les livres achetés passent parfois un peu à la trappe… La preuve, alors qu’il était gentiment posé bien en vue à côté de mon canapé, il m’a fallu plus de deux ans pour finalement me lancer dans la lecture de celui-ci. Et je peux vous dire que je regrette d’avoir attendu tout ce temps ! Il y a bien longtemps que je n’avais pas autant ri en lisant un livre ! Bon, on ne va pas se mentir par contre : pour apprécier ce livre, il faut avoir en stock une sacrée dose d’humour noir et ne pas s’effrayer devant quelques scènes gores (mais tellement drôles !). Parce qu’ici, le « rôti de Maman », ce n’est clairement pas le rôti cuisiné par Maman… 🙂

Mais en même temps, là où ce roman n’aurait pu être qu’une simple farce gore particulièrement jouissive, il cache aussi en réalité une vraie critique sociétale, revendiquant le droit à la différence, le droit d’exister quand on ne correspond pas aux normes… Le droit d’avoir des droits, tout simplement. Oui, ici, ce sont des zombies. Mais ailleurs, ce sont des Noirs, des homosexuels, des femmes… Quand Andy prend le bus, moyen de transport interdit aux zombies, l’ombre de Rosa Parks n’est pas loin. Quand il se fait insulter, conspuer, martyriser dès qu’il prend place dans l’espace public, ces intolérables panneaux « Interdit aux chiens et aux Juifs » que l’on a tous croisés, a minima dans nos livres d’histoire, font comme un écho. Alors on rit, oui. On rit noir, très noir, mais on rit jaune aussi.

Pour en revenir à Mirobole, je ne peux que vous inviter à partir à leur rencontre si vous ne connaissez pas leurs romans. Personnellement, j’aime beaucoup leur « style éditorial », comme ils le disent eux-mêmes, qui consiste à ne publier que des traductions d’œuvres étrangères (du russe, de l’allemand, du suédois, de l’espagnol, du turc…), bien souvent absurdes, originales, décalées, bref… On part toujours à l’aventure avec Mirobole, même si on ne sait pas toujours où on met les pieds 🙂 Et je crois que c’est ça que j’aime, au final… Savoir que la surprise sera là, mais ne pas savoir la forme qu’elle prendra. Une vraie surprise, quoi !

Vous vous doutez donc que j’ai très envie de lire la suite des aventures d’Andy et ses amis zombies, le titre de ce deuxième roman de S.G. Browne étant une nouvelles fois particulièrement cocasse : « Le Jour où les zombies ont dévoré le Père Noël ». Rien que ça ! 🙂

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« Si vous voulez mon avis, les médias ont aussi une grande part de responsabilité dans la prolifération des réactions antizombies. Avec des flashs d’info diffusés vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur toutes les chaines de télé, répondant aux attentes d’un public avide de sensations et d’effroi, les zombies ont tendance à récolter une presse bien pire que celle du président Bush, des membres du Congrès et d’O.J. Simpson réunis. […] Au lieu de diffuser des reportages sur des zombies participant à des groupes de soutien, à des ventes de bienfaisance ou à des collectes de jouets pour les démunis, les médias se concentrent sur une minorité de notre population et répandent avec leurs reportages biaisés un véritable sentiment d’insécurité. »

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2 réponses à “{Roman} Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amour – S.G. Browne”

  1. micmac dit :

    Cooool…

    Je suis content que cela t’ai plu car c’est un foutu de bon livre (le deuxième est un poil en dessous mais reste bien goûteux…)

    labiz

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