{Roman Jeunesse} Plus de morts que de vivants – Guillaume Guéraud

plusdemorts« Depuis longtemps dépassés par les évènements, sans plus aucune prise sur le réel, ni sur le présent, encore moins sur ce qui allait pouvoir se passer, uniquement projetés en avant par des réflexes hérités de temps ancestraux dont ils ignoraient tout, un instinct naturel de survie face à la peur peut-être, la peur à laquelle ils croyaient s’être habitués mais qui était soudain montée d’un cran pour leur rappeler qu’elle les dominait, la peur semblait leur brûler les pieds, les poussant à accélérer pour échapper encore une fois au pire, même si toutes leurs certitudes s’écroulaient, même si tous les voyants clignotaient au rouge, même si l’idée de leur propre mort leur apparaissait de plus en plus évidente. »

Marseille. Collège Rosa Parks. Vendredi 17 février. Une matinée glaciale.

Dans la cour, il y a Matt, Nino, Julie, Fab et Cess. Pas Charlotte, restée malade à la maison, au désespoir de Matt qui n’aime rien tant que l’embrasser. Nino fait l’idiot, comme d’habitude. Peut-être parce qu’il n’a d’yeux que pour Cess, sans trop savoir comment lui dire…

Il y a la jeune Lila, qui ne s’est pas encore vraiment faite au collège, à ses grandes gueules et leurs insanités. Il y a Zak.

Et puis il y a Corentin, dont le nez commence à saigner. Et Yasmine qui – sans s’en rendre compte – vient de perdre une mèche de sa magnifique chevelure. Des prémices de l’insoupçonnable.

Slimane est en retard, comme d’habitude. Quand il daigne venir. Mais aujourd’hui, il a cours d’anglais, avec Miss Heatherbarrow. Elle a beau être enceinte jusqu’aux yeux, Slimane est sous son charme, indubitablement, absolument.

Ce soir, ce sera les vacances.
Ce soir…

Puis le nez de Corentin commence à déverser des flots de sang, et Yasmine devient folle d’avoir vu ses cheveux tomber, tous. Et le visage de Kevin se fend en deux, et le ventre de la grosse Anouk… Ce n’est que le début. Le début de quoi ? Personne ne le sait. Arrivent les secours. Les pompiers. Une aide psychologique, quand les premiers morts touchent le sol.

Puis l’horreur.
L’horreur absolue.
Et la quarantaine. Le plan Orsec.
Les portes du collège resteront fermées.
Et les corps tombent…

3etoiles

« Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir » – Dante, La Divine Comédie

On ne va pas se mentir. Si ce que vous cherchez, c’est un feel good book estival, passez votre chemin et rendez-vous plutôt ici. Parce que là, on est davantage dans la claque douloureuse. Vraiment douloureuse.

Avant même la lecture, le titre (et cette effroyable couverture) nous laissent présager le pire… Et puis l’on se demande comment une intrigue si mince – un collège, un virus – peut s’étirer sur 250 pages. Alors on commence à lire, et – immédiatement – les prémices du drame se glissent entre les lignes. Les premières victimes tombent, et ce n’est pas beau à voir. Pas beau à voir du tout. Et l’on s’attache (un peu, mais pas trop, on a trop peur qu’ils soient les prochains, et puis de plus en plus, et puis…) à ces quelques collégiens mis en exergue : Matt, Nino, Charlotte, Lila, Slimane… Alors on se prend au « jeu », on se prend à croire, à espérer qu’ils passeront entre les mailles du filet Et les victimes tombent. Et ce n’est pas beau à voir. On continue sa lecture et l’on côtoie la peur la plus brute, que le huis-clos rend palpable. Il n’y a pas d’échappatoire. Et les pages se déroulent, et les pages se déroulent, et l’on ressort sonné. Une claque.

Ce roman est publié dans une collection destinée aux adolescents, qui ne pourront que se reconnaitre dans la clique de collégiens. Attention toutefois ! Parce qu’il est non seulement gore, par moment, d’un gore frôlant le grotesque, mais aussi parce qu’il est – de mon point de vue – particulièrement choquant. Du genre qui empêche de dormir la ou les nuits suivant sa lecture… J’en ai lu, pourtant, des romans d’épouvante, des histoires terribles et terrifiantes, j’en ai vus, des films d’horreur, des séries violentes, des corps déchirés… Mais très peu de romans/films ont eu cet effet sur moi (je pense notamment à « La secte sans nom », de Jaume Balagueró, dont la fin – dans un autre registre – m’a longtemps hantée…).

Alors peut-être est-ce la « possible réalité » du roman, qui m’a tant marquée. Ici pas de monstres, rien d’extraordinaire, de paranormal ou de démoniaque. « Juste » un virus. Et l’impuissance des hommes. Leur détachement, que l’on méprise aussi bien qu’on le comprend.

Peut-être aussi est-ce l’actualité du moment, une overdose de corps morts et de violences absurdes. Pas de terroriste ici, pas de « valeurs » défendues, fussent-elles bafouées par la haine. « Juste » un virus. Encore une fois. Une possibilité, et ses insoutenables conséquences. Et la fin ! Cette issue que l’on redoute, plus encore qu’on ne la souhaite… La violence, finalement, n’est peut-être pas tant dans les corps qui tombent, que dans le supplice moral qu’ils nous infligent. Quel sacrifice serions-nous prêts à faire pour échapper au pire ?

Âmes sensibles, s’abstenir…
Les autres, attendez-vous à une claque. Douloureuse.

3etoiles

« Rachid Boubaker. 3ème B. Il était pieds nus. Personne ne l’avait vu ôter ses chaussures mais tout le monde le découvrir pieds nus sur le béton frigorifié de la cour, dans la partie proche du réfectoire, à l’angle du terrain de handball. Debout. Silencieux. Les cheveux dans les yeux. Sa peau aussi pâle que des cendres froides. Les veines de son cou comme des anguilles vertes. De la mousse au coin des lèvres. Des larmes sur les joues. Silencieux mais des cris dans tous les membres. Comme si un marionnettiste survolté le secouait en agitant des fils invisibles. Larmes et morve se mélangeant. Puis soudain immobile. Tanguant doucement. Bizarrement. Ses larmes qui roulaient. Sa bave qui coulait en engluant le sol. »

signature_rose

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *