{Roman} Papillon de nuit – R.J. Ellory

papillon-de-nuit-ellory« Si je tentais de résumer ça en une seule affirmation, comme si j’essayais de synthétiser toute ma vie en un seul paragraphe, je dirais que ce n’était vraiment qu’une histoire d’amitié. Mon amitié avec Nathan Verney a réellement été le début et la fin de tout. C’est avec lui que j’ai découvert le monde, et je ne vois pas un seul évènement important antérieur à sa mort que nous n’ayons pas partagé. De six à vingt-quatre ans, nous avons vécu des vies parallèles, et si l’un ou l’autre partait de temps en temps à droite ou à gauche, ou alors marquait une pause, ralentissait, ou manquait un pas, nous finissions toujours par nous retrouver un peu plus loin. »

Caroline du Sud, 1982. Daniel Ford attend la mort. La chaise électrique.
Douze ans qu’il purge sa peine à Sumter pour le meurtre de son meilleur ami, Nathan Verney.
Un châtiment qu’il a accepté, pour un crime qu’il n’a pas commis. Parce que la culpabilité est là, malgré tout… Elle le ronge et le réduit à néant. Comme un papillon de nuit qui s’approche trop près de la lumière.

Plus la date de l’exécution approche, plus les souvenirs se font précis, vibrants, et ce qui pourrait n’être « que » le récit d’une erreur judiciaire devient le récit d’un monde, d’une époque. Celle – il n’y a pas si longtemps que ça – où un Noir et un Blanc n’auraient pas eu le droit d’être amis… Et c’est tout un pan de l’histoire américaine qui défile – JFK et « la mort du roi », la guerre du Vietnam, Nixon, le Watergate, Marthin Luther King, le Ku Kux Klan… – dont la folie causera la perte de Daniel et de Nathan, le « petit gosse noir [avec] des oreilles comme des anses de cruche, des yeux comme des feux de signalisation, et une bouche qui lui fendait le visage d’une oreille à l’autre », avec lequel il a partagé un sandwich au jambon cuit un été, près de la rive du lac Marion.

Regarder en arrière, c’est aussi repenser à Sheryl Rose Bogazzi qui – sans le savoir – a définitivement scellé leur amitié, quand le racisme le plus abject est la dernière arme des vaincus. A Caroline Lanafeuille, qu’il a aimée de tout son être avant qu’elle ne parte, trop vite. A Linny Goldbourne, enfin, instigatrice involontaire et victime du drame qui se noue…

Regarder en arrière, c’est se rappeler les bêtises de deux gamins inséparables, se rappeler – quelques années plus tard – le sergent venu enrôler les jeunes garçons pour aller détruire le communisme, se rappeler leurs doutes et leur angoisse : comment, pourquoi accepter d’aller combattre, d’aller mourir dans un pays dont ils ignoraient même jusqu’à l’existence, pour défendre une cause qui leur échappe ?

Se rappeler leur départ. Leur fuite.
Ses conséquences.

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J’ai découvert R.J. Ellory en lisant, il y a quelques années, « Seul le silence ». De l’histoire, je ne saurais plus vous dire grand-chose. Ce dont je me souviens, par contre, c’est ce sentiment de noirceur brute, assortie d’une écriture d’une étonnante poésie, loin de celle – plus conventionnelle – de nombre de polars, où l’histoire, le suspens, importent davantage que le style.

Et puis un jour, j’ai eu l’occasion de rencontrer l’auteur lors d’un salon du livre. Il présentait son dernier roman, « Les neufs cercles ». Son discours, sa personne, m’ont donné envie de me pencher à nouveau sur son œuvre, et j’ai donc lu ce nouveau roman (très) noir – le cadavre d’une jeune fille de 16 ans, disparue il y a plus de 20 an, est retrouvé intact, protégé de la décomposition par la vase, dans une petite bourgade du Mississipi – dans lequel la guerre du Vietnam et ses traumatismes – encore une fois – viennent prendre une place essentielle dans l’intrigue. Si l’écriture conserve cette sorte de « poésie du malheur », j’avais néanmoins regretté une certaine répétition dans la dénonciation des horreurs du Vietnam qui, au final, desservait un peu le roman.

Ce léger défaut est déjà présent dans « Papillon de nuit », premier roman de l’auteur (publié par Sonatine dans la collection Sonatine + qui donne une (seconde) chance à des romans non-publiés en France, ou publiés de façon très confidentielle : j’adore l’idée !), dans lequel l’auteur prend un peu trop l’habitude de constructions telles que : « Si à ce moment là, j’avais su que….. alors j’aurais …… ». Evidemment, le processus a toute sa place dans un récit basé quasi-uniquement sur des flash-backs, mais il finit par agacer. Mais – dans le fond – s’il finit par agacer, c’est parce R.J. Ellory fait bien son boulot : on veut savoir, on veut avancer, on veut comprendre ! Pourquoi, comment Danny a-t-il pu se retrouver dans le couloir de la mort pour le meurtre de Nathan, son âme-frère ?

Je n’ai pas abordé jusque là l’aspect carcéral du roman, qui encadre les flash-back. Il reprend les thèmes assez usités du « gentil gardien » et du « méchant gardien » (ce qui m’a d’ailleurs amenée à me demander si toutes les prisons américaines avaient dans leur rang LE gardien sadique, celui qui n’est que haine et mépris, tellement ce personnage est récurrent dans la littérature / le cinéma carcéral ?). Mais peu importe, on se laisse embarquer car le fond n’est pas là : « Papillon de nuit » n’est ni un polar ni un roman carcéral, à dire vrai, mais un récit sur l’impact de l’Histoire sur le destin d’une poignée d’individus. Et – pour la lectrice française que je suis, n’ayant qu’une connaissance partielle de l’histoire américaine du milieu et de la fin du XXème siècle – un cours éprouvant sur un monde en mutation, qui – l’actualité le prouve – n’est pas près de se transformer en papillon…

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« Il y avait une photo. Elle a été reproduite à la télé, dans les journaux, dans les magazines d’actualité : le général Loan de l’armée du Sud-Vietnam pointant un revolver sur la tête d’un suspect sur une place publique de Saigon. La tête du suspect était inclinée sur la droite, son visage tordu par une grimace de terreur.
Le général Loan avait déclaré : Bouddha comprendra.
Certains ont demandé qui était Bouddha ; était-il responsable de la guerre ?
D’autres ont demandé pourquoi le général Loan pensait que Bouddha voulait être mêlé à un tel acte.
D’autres encore ont juste détourné les yeux, écœurés, dégoûtés, incrédules.
Cette photo m’a hanté pendant des jours. »

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3 réponses à “{Roman} Papillon de nuit – R.J. Ellory”

  1. micmac dit :

    Coucou Lily.

    Bon j’ai tenté plusieurs fois Ellory et je ne suis jamais allé au bout de ses livres, je ne sais trop pourquoi. Je préfère (de loin) son presque homonyme Ellroy.

    Je tenterai peut-être ce papillon même si crains l’abandon en rase paragraphe.

    Sinon je te l’avais promis : http://filmstreamvk.com/serie/no-offence-saison-1

    Tchô

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