{Roman} Zombie Nostalgie – Øystein Stene

zombie_nostalgie« Mon projet n’est pas de m’inscrire dans l’histoire, mais de m’en délivrer. Je cherche une échappatoire, un passage, une brèche, un lieu où l’histoire ne pourra plus me rattraper, un lieu où elle sera hors de portée. Je voudrais être là, sans être associé au destin de la nation, sans être associé au vide qu’elle a laissé. Je voudrais exister. En tant qu’être humain, pourrait-on dire. J’essaie de faire place à quelque chose de nouveau. »

Quelque part, dans l’océan Atlantique, se trouve l’île de Labfonia… Inutile de la chercher sur une carte. Cette île est cachée, secrète, effacée par les services secrets des grandes puissances occidentales.

Chaque jour, des hommes, des femmes s’y réveillent – à l’image de notre narrateur. Leur corps est raide, leur peau bleuâtre, ils ne ressentent rien et grognent plus qu’ils ne parlent… Ils sont vides de souvenirs, d’un avant ou d’un ailleurs. Ils se sont simplement éveillés, ici, et puisqu’ils n’ont pas d’existence, leur nouvelle société va leur en donner une : un nom, un métier, un logement. Comme une vraie vie. Sauf qu’ils sont morts. Ou immortels. Mais dans le fond, n’est ce pas la même chose ?

Rebaptisé Johannes, notre narrateur va vite démontrer d’excellentes capacités d’adaptation, bien plus importantes que la majorité des Labfoniens. Il réapprend à parler, à se mouvoir et trouve avec plus moins de bonheur sa place au sein des archives, où il a été affecté. Mais « bonheur » est un bien grand mot, car les Labfoniens sont vides de sentiments. Ils simulent – l’amour, la jalousie, la colère, tentent de ressembler à des humains, à ceux qu’ils étaient peut-être, à ceux qu’ils ne deviendront jamais.

Johannes est logé chez Pedro, membre d’un groupe rebelle, ne « vivant » que dans la marge d’une terrible addiction… Mais cette rencontre est-elle le fruit d’un hasard, ou d’un complot mené par un ersatz de gouvernement ? Quels secrets s’étendent sur Labfonia, ce purgatoire aux règles inconnues ? Et que cachent les puissances qui le dirigent ? Un retour au monde ? Un anéantissement ?

L’histoire de Labfonia, cette « nation zombie » – selon le titre original, « Zombie Nation » – nous est peu à peu dévoilée, et avec elle, l’Histoire, la grande, celle qui n’a eu aucun scrupule à faire de ces ni-morts ni-vivants leurs pantins. Pour le meilleur et pour le pire.

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Ceux qui sont déjà passés par ici savent que j’aime les zombies. Les histoires de zombies, du moins 🙂 Les histoires « ordinaires », d’épidémie, d’expérience qui a mal tourné, avec un groupe de (plus ou moins) survivants, à la « Walking Dead » ; et puis – plus encore – les histoires qui se démarquent, les petites et grandes révolutions qui nous offrent en regard nouveau : « Zombie Nostalgie » en fait partie.

C’est un roman étrange, empreint d’une mélancolie à peine poisseuse, qui réinterroge avec intelligence le zombie – à mille lieux de la créature avançant les bras tendus en marmonnant «cerveeeau ! » – et revisite malicieusement l’Histoire – des zombis des mythes haïtiens aux champs de bataille de la 2nde Guerre mondiale.

C’est aussi, et de façon plus vaste, un questionnement sur la vie, la mort, et l’absurdité qui se glisse dans l’entre-deux, quand on est ni vivant ni mort, et que l’on se contente d’aligner les jours sans espoir, sans envie, sans quête. Ceux qui voudront y verront une métaphore… 🙂 Et puisque l’on parle d’absurdité, l’ombre kafkaïenne – l’ombre du nazisme, peut-être, également, d’un Big Brother orwellien en tout cas – n’est pas loin, non plus, dans cette île du semblant, réglée comme du papier à musique, sur laquelle règne une inquiétante administration.

« – Beaucoup de gens consultent les archives ?
– D’après les lois relatives à la transparence publique, tout citoyen de Labofnia y a accès. La seule exception concerne les documents de caractère privé, répondit Herbert.
– Mais pour l’instant, les consultations ne sont pas autorisées, car on n’a pas encore déterminé ce qui relève du privé. […]
– Et qui est chargé d’étudier la question ?
– Allez savoir, répondit Helmer sans détacher les yeux du dossier. […] La dernière fois que je me suis renseigné, c’était le service des études administratives. Mais ces questions là se baladent souvent d’un service à un autre. »

Je vous invite à jeter un œil à la couverture, à ce zombie en cravate qui mange sa mandarine… Si son ironie, son décalage vous parlent, ouvrez ce roman car – une fois n’est pas coutume – la couverture fait ici, à mon sens, le livre… C’est d’ailleurs elle qui m’a attirée, dans ma médiathèque 🙂

Sans être un coup de cœur, « Zombie Nostalgie » est une lecture un peu à côté, un roman court, sobre, froid, agréablement lent, suscitant réflexions et questionnements. Une parenthèse secrète sur une île perdue.

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« Par définition, celui qui ne peut pas mourir ne peut pas non plus être vivant, au sens organique du terme. D’un point de vue physiologique, biologique, philosophique et psychologique, ce serait un non-sens. Et inversement : celui qui est déjà mort ne peut ni mourir ni vivre. Il convenait donc de s’interroger sur ce que l’on laissait derrière soi en mourant. Comment la mort avait-elle surgi, d’où venait-elle, quel était le facteur qui en avait déclenché le processus ? Sur la planète Terre, la vie prenait des formes multiples, mais aucune espèce connue ne possédait un avatar susceptible d’exister sans ressources naturelles. »

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4 réponses à “{Roman} Zombie Nostalgie – Øystein Stene”

  1. micmac dit :

    Ah çui là je le sens bien.

    Dans le genre tu as l’excellentissime (pas loin du chef d’oeuvre) COMMENT J’AI CUISINÉ MON PÈRE, MA MÈRE ET RETROUVÉ L’AMOUR.

    Le meilleur livre de zombie décalé que j’ai lu.

    Mais ce ZOMBIE NOSTALGIE que tu chroniques, ouvre l’appétit.

    Biz

    • Haha, « Comment j’ai cuisiné mon père… » attend sagement à côté de mon canapé depuis… trop longtemps ! L’Escale du Livre… de l’année dernière ! Je venais de découvrir cette maison d’édition en empruntant « Gretel and the Dark » à ma médiathèque, j’avais été charmée par leurs couvertures assez atypiques. Bref… comme je crois te l’avoir déjà dit une fois, une malédiction règne sur les livres que j’achète : ils passent bien souvent après ceux de la médiathèque, vu que je n’ai aucun délai de lecture… Alors il faudrait que j’arrête (un peu) d’aller à la médiathèque, mais ça, je ne sais pas faire 🙂 En plus, je vais commencer à bien bosser le 2nd semestre de mon Master donc ça ne va pas arranger les choses, tiens… 🙂 Je privilégie les romans courts en ce moment, du coup.

  2. Baalero dit :

    Merci pour votre message très amicale sur Myzombieculture.com !
    j’ai lus que vous étiez fan de livre de zombie, je vous conseille vivement la saga ennemis de Charlie Higson. Une excellente saga, la meilleur pour l’instant.
    http://www.myzombieculture.com/db/database/317/ennemis-tome-1-2011/

    Cordialement
    BAALERO

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