{Roman } De bons présages – Neil Gaiman & Terry Pratchett

de_bons_presages« J’ai occupé toutes les lignes de téléphone portable du centre de Londres pendant quarante-cinq minutes, au moment de la pause repas. […]
– C’est tout ? s’inquiéta Ligur. […]
Que pouvait-il leur dire ? Que l’humeur de vingt mille personnes était devenue massacrante ? Qu’on pouvait entendre jusqu’à l’autre bout de la ville le bruit des artères qui se sclérosaient ? Et qu’en rentrant, ces personnes allaient se défouler sur leur secrétaire, sur leurs contractuelles, sur tout le monde, sur des gens qui à leur tour allaient se défouler sur d’autres individus ? Par une avalanche de mesquineries qu’ils allaient – et tout l’intérêt de la manœuvre reposait là – qu’ils allaient inventer tout seuls ? Pendant le reste de la journée. Les répercussions étaient incalculables. Des milliers et des milliers d’âmes se ternissaient un peu, sans que Rampa ait besoin de lever le petit doigt. »

L’Apocalypse aura lieu samedi prochain, après le thé ! Les forces du Bien et du Mal en ont décidé ainsi. L’Antéchrist – bébé blond joufflu – est sur Terre, et quand il fêtera ses 11 ans… ce sera la Guerre. La fin du monde tel que nous le connaissons.

On pourrait croire que l’Apocalypse est le rêve de tout démon ! Mais ce n’est pas celui de Rampa, le serpent (Adam & Eve, la pomme de la connaissance, etc. etc.). Sur Terre depuis le début des temps, fidèlement accompagné de son meilleur ennemi l’Ange Aziraphale, Rampa a appris à apprécier les humains et leur incroyable capacité à concevoir – sans aucune aide diabolique – d’admirables tortures et violences. Alors l’Apocalypse, l’Enfer éternel, tout ça, c’est bien gentil, mais bonjour l’ennui !

Rampa et Aziraphale décident alors de passer un pacte… Ils accompagneront l’enfant tout au long de son enfance, lui inculquant le Bien et le Mal, lui laissant ainsi la possibilité de modeler son propre destin… Mais c’était sans compter sur la maladresse des sœurs satanistes de l’Ordre Babillard de Ste-Béryl, qui ont malencontreusement échangé l’Antéchrist avec un autre bébé blond joufflu…

Quand sonne enfin l’heure de l’Apocalypse, et que le Molosse des Enfers doit venir retrouver son maitre, nos deux comploteurs découvrent avec effroi qu’ils ont éduqué 11 ans durant un petit garçon comme les autres. C’est le début d’une course contre la montre à la recherche du jeune Adam, débrouillard et inventif, chef adulé des Eux, une bande de gamins qui n’aiment rien tant que refaire le monde. Et Antéchrist qui s’ignore, accessoirement.

Mais l’Apocalypse, la prophétesse – bien trop souvent ignorée, sans doute parce qu’elle avait toujours raison – Agnès Barge l’a déjà prévue au XVIIè siècle ! Alors quand sa Descendante Professionnelle, Anathème Bidule, repère les premiers signes de fin de monde, là voilà lancée à son tour dans l’aventure, accompagnée de Newton Pulsifer, comptable et Inquisiteur deuxième classe, sous les ordres de l’Inquisiteur sergent Shadwell, bien déterminé à brûler une sorcière ou deux pour quelques pennies – il faut bien manger !

Je vous ai perdus ? Pourtant, je ne vous ai même pas encore parlé des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse (Guerre, Famine, Pollution – Pestilence a pris sa retraite – et MORT), des Tibétains qui font le tour du monde dans leurs tunnels sous-terrain, de l’Atlantide retrouvée ou des extra-terrestres que croiseront nos « héros ». Ça, ce sera à vous de le découvrir en poussant la porte de ce roman épique à l’imaginaire extrêmement riche et à l’humour joyeusement apocalyptique !

« J’vois pas ce qu’il y a de super à créer des gens comme ils sont, et puis à s’énerver parce qu’ils se conduisent comme des gens, intervient Adam avec sévérité. Et puis, de toute façon, si vous arrêtiez de dire aux gens que tout s’arrange après leur mort, ils commenceraient peut-être à mettre leurs affaires en ordre pendant qu’ils sont encore vivants. Si c’était moi le chef, j’essaierai de faire vivre les gens plus longtemps, autant que Mathusalem. Ça serait drôlement plus intéressant. Et puis ils commenceraient peut-être à réfléchir à ce qu’ils font à l’environnement et l’écologie, parce qu’ils seraient toujours là dans un siècle. »

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La grande force de ce roman réside pour moi dans la multitude de détails qui viennent construire les personnages, les évènements, les lieux…, de la « malédiction » de Rampa – dont toutes les K7 audio se transforment toujours mystérieusement en best-of de Queen – aux idées révolutionnaires de Famine, qui a inventé les premiers plats préparés exempts de tout nutriment, mais saturés de sucre et de graisses, qui parviennent le tour de force de tuer leurs consommateurs à la fois d’obésité ET de malnutrition !

J’ai eu un vrai coup de cœur – notamment – pour les notes de bas de page, souvent particulièrement drôles, pour ne pas dire hilarantes. Oui, la fille qui riait toute seule dans le train Bordeaux-Libourne, c’était moi 🙂 Le traducteur lui-même en vient à utiliser ce procédé, quand il « rend les armes » et renonce à traduire l’un des (très très très !) nombreux jeux de mots, qui donnent toute sa saveur au roman. L’amoureuse des mots que je suis est évidemment sous le charme de cette écriture du jeu et de l’absurde qui ne doute de rien, parfaitement assumée par les auteurs.

Parlons-en de ses auteurs : d’un côté, Neil Gaiman, dont je vous ai déjà parlé dans ma chronique de Neverwhere, roman fantastique de la Londres d’en bas ; de l’autre, Terry Pratchett, célèbre notamment pour sa série de romans du « Disque-Monde » (40 tomes !), dont les fameuses « Annales », et décédé en début d’année, laissant ses lecteurs inconsolables… Deux immenses références de l’imaginaire britannique, donc, réunies en un seul roman ! Quoi ? Vous n’êtes pas encore partis à la librairie / médiathèque ?! 🙂

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« La Mort, la Famine, la Guerre et la Pollution continuaient leur chevauchée vers Tadfield.
Et Intervention Violente dans la Gueule, Cruauté envers les Animaux, Objets Qui Marchent Jamais Même Quand On Leur File Un Coup De Latte Mais En Secret Bière Sans Alcool et Gens Vraiment Cool faisaient route avec eux ».

Dois-je préciser que ces quelques pages où les Hell’s Angels accompagnant nos Quatre Cavaliers de l’Apocalypse se rebaptisent avec coolitude vaut son pesant de manne céleste…? 🙂

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5 réponses à “{Roman } De bons présages – Neil Gaiman & Terry Pratchett”

  1. nneon dit :

    Ah que voilà une bonne chronique. Tout y est. la loufoquerie débridée de Pratchett alliée au sens de la construction de Gaiman. Un duo d’enfer !

    Tu as aimé. Ça fait plaisir.

    • Merci ! 🙂 Oui, j’ai aimé. Ça m’a fait beaucoup rire, et c’est très rare qu’un livre me fasse rire, vraiment rire je veux dire. Et j’adore le sens du détail de ce roman ! Les détails, c’est quelque chose d’ultra-important à mes yeux.

      Je viens d’emprunter « La Huitième couleur » à ma médiathèque, du coup ! 🙂 Mais avec 2 romans et 1 comic en cours, ce n’est pas encore pour tout de suite…

  2. Lili dit :

    Ahh, pour ma part, je l’avais trouvé too much, ce titre-là. Et j’ai découvert plus tard en tentant de lire Pratchett que c’est définitivement sa patte à lui qui me fait rire au début puis plus du tout à la fin tant ça ne fait que s’amplifier.
    Par contre, juste avant, j’avais lu « American gods » de Gaiman et j’avais adoré !!

    • En effet, c’est très « much », mais pas « too much », à mon goût 😉
      J’avais commencé « La Huitième couleur » il y a des années (le 1er tome des « Annales du Disque-Monde »), sans accrocher du tout. Mais je n’étais pas du tout tournée vers la fantasy à l’époque… Alors je vais retenter, maintenant 🙂
      Je n’ai pas lu « American Gods » pour le moment, mais c’est sur ma liste ! Je suis un peu devenue Gaiman-addict 🙂

  3. […] mais très rares sont au final les livres qui me touchent de façon physique : qui me font rire (De bons présages, de Neil Gaiman et Terry Pratchett), qui me font pleurer (Oscar et la dame rose, d’Eric-Emmanuel […]

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